le 25 novembre de l’an dernier
j’ai vécu quelque chose d’exceptionnel
une semaine et demie plus tôt,
le 13 novembre
avaient eu lieu les récents attentats de paris
la belgique était elle aussi du état d’alerte maximale
anvers était épargnée du niveau le plus élevé
mais c’était seulement
parce que la ville était déjà occupée depuis des mois
par les paras et leur matériel roulant
les semaines qui ont suivi les attentats
le meir, le kinépolis, le théâtre du bourla
et le delhaize au sud de la ville
étaient des lieux que sûrs
le 25 novembre de l’année dernière
je me suis rendu avec ma plus jeune fille au het bos,
une auberge de jeunesse sur les quais d’anvers,
pour quelque chose
que l’agenda décrivait comme un
bosboenk,
la fête pour enfants la plus fofolle de la ville
étaient présents
des élèves de diverses écoles anversoises
des résidents de centres d’asile
et des enfants des centres d’accueil de la croix rouge
j’ai regardé les yeux pleins de larmes
tout ce méli-mélo qui s’éclatait
sur autant de styles de musique que compte notre planète
avec pour cerise sur le gâteau l’apparition de tatyana de ketnet
je n’ai pas tant été touché par ce court moment
pendant lequel toutes les différences étaient effacées
pour une fête avec des gaufres
mais par la constatation
que les portes vers la rue étaient ouvertes,
que la salle était pleine,
qu’il faisait noir,
que la plupart des parents ne comprenaient pas où ils se trouvaient
que tout le monde courait dans tous les sens
dehors
dedans
aux w.-c.
et encore une fois aux w.-c.
qu’il n’y avait pas d’agent de quartier à voir,
pas de garde de ville,
pas même de facteur
les gens dans het bos
n’avaient pas pensé une minute
à prendre des mesures de sécurité
et ce n’était pas une profession de foi
pas une tentative de réponse à la manipulation de l’opinion publique
mais une négation pure et simple de tout le discours
et c’est peut-être
ai-je pensé plus tard
ce que veut dire harald welzer quand
dans son livre Selbst denken: Eine Anleitung zum Widerstand
il écrit
...il s’agit de chercher des lieux où la réalité compacte peut être perforée
une réalité à laquelle nous paraissons assujettis
parce que nous croyons qu’elle est immuable
alors qu’elle n’est même pas correctement formulée
la caractéristique de notre époque
étant plutôt que nous nous soumettons à cette cage ultramoderne de soumission...
depuis janvier de cette année
je suis à l’œuvre depuis six mois dans une petite école de deurne
ma raison de ma présence est
une petit film dans lequel l’économe milton friedman
utilise un crayon
pour explique comment fonctionnent les mécanismes du marché libre
le graphite vient d’afrique du sud,
le bois de l’ouest de l’amérique
l’aluminium de chine,
la peinture d’inde
la gomme des pays-bas
et tous ces gens,
poussés par une main invisible qui s’appelle concurrence
ont travaillé à ce crayon
afin qu’on puisse se l’acheter au prix le plus bas
et participer à l’harmonie et à la paix du monde.
j’ai demandé aux élèves de cette petite école
s’ils voulaient bien m’aider
à rapporter tous les éléments du crayon
à leurs lieux respectifs d’origine
pour
les y faire reposer
mais aussi
pour préparer la voie à quelque chose de nouveau
j’ai passé beaucoup de temps à expliquer mes motifs
les élèves de la classe avec laquelle je travaille ont onze ans
et nous parlons de thèmes tels que
la liberté individuelle versus la liberté collective,
la durabilité justifiée,
les potentialités de la terre
et robert musil
qui écrit que
s’il existe un sens du réel
il doit y avoir aussi un sens du possible
la capacité de penser ce qui pourrait être
je voulais rendre clair à la classe par quelques exemples
ce qu’un sens du possible pourrait être
et leur montrer la
disziplin der subjektivitat
une œuvre d’erwin wurm
qui a été jadis au musée du middelheim
une auto dont deux des quatre roues
reposent contre un socle à l’aide d’un crayon feutre
le soir quand je regarde la photo de nouveau
il me faut penser à l’événement avec l’écrivain argentin julio cortazar
et combien cet incident écrit le sens du possible
vers 1970 on a reproché à Cortazar
que ses œuvres étaient frivoles humoristes et sans engagement
vis-à-vis de la situation politique de son pays.
il a répondu :
« Je crois plus que jamais
que la lutte pour le socialisme en Amérique latine
doit affronter l’horreur quotidienne
en gardant précieusement, jalousement,
la capacité de vivre telle que nous la souhaitons pour ce futur,
avec tout ce qu’elle suppose d’amour, de jeu et de joie. »
Benjamin Verdonck