Bleri Leshi & Benjamin Verdonck

Le livre Liefde in tijden van angst (l’amour en temps d’angoisse) de Bleri Leshi a été présenté dans une ambiance de fête le 14 février 2016 par l’Universiteit van Algemeen Belang, le Vredescentrum et la maison d’édition EPO. « L’appel de Bleri Lleshi à redécouvrir l’amour en temps d’angoisse, de le repenser à partir de zéro, n’est pas que réconfortant : il est aussi d’une urgence absolue », dit l’auteur Stefan Hertmans. Benjamin Verdonck a réagi au livre en prenant part à sa présentation. En voici le texte :

 

le 25 novembre de l’an dernier

j’ai vécu quelque chose d’exceptionnel

une semaine et demie plus tôt,

le 13 novembre
avaient eu lieu les récents attentats de paris

la belgique était elle aussi du état d’alerte maximale
anvers était épargnée du niveau le plus élevé

mais c’était seulement

parce que la ville était déjà occupée depuis des mois

par les paras et leur matériel roulant

les semaines qui ont suivi les attentats

le meir, le kinépolis, le théâtre du bourla

et le delhaize au sud de la ville

étaient des lieux que sûrs

le 25 novembre de l’année dernière

je me suis rendu avec ma plus jeune fille au het bos,

une auberge de jeunesse sur les quais d’anvers,
pour quelque chose

que l’agenda décrivait comme un
bosboenk,
la fête pour enfants la plus fofolle de la ville
étaient présents

des élèves de diverses écoles anversoises

des résidents de centres d’asile
et des enfants des centres d’accueil de la croix rouge

j’ai regardé les yeux pleins de larmes

tout ce méli-mélo qui s’éclatait

sur autant de styles de musique que compte notre planète

avec pour cerise sur le gâteau l’apparition de tatyana de ketnet

je n’ai pas tant été touché par ce court moment

pendant lequel toutes les différences étaient effacées
pour une fête avec des gaufres

mais par la constatation

que les portes vers la rue étaient ouvertes,

que la salle était pleine,

qu’il faisait noir,
que la plupart des parents ne comprenaient pas où ils se trouvaient

que tout le monde courait dans tous les sens

dehors

dedans

aux w.-c.

et encore une fois aux w.-c.

qu’il n’y avait pas d’agent de quartier à voir,

pas de garde de ville,

pas même de facteur

les gens dans het bos

n’avaient pas pensé une minute
à prendre des mesures de sécurité

et ce n’était pas une profession de foi
pas une tentative de réponse à la manipulation de l’opinion publique
mais une négation pure et simple de tout le discours

et c’est peut-être

ai-je pensé plus tard
ce que veut dire harald welzer quand

dans son livre Selbst denken: Eine Anleitung zum Widerstand

il écrit
...il s’agit de chercher des lieux où la réalité compacte peut être perforée
une réalité à laquelle nous paraissons assujettis

parce que nous croyons qu’elle est immuable
alors qu’elle n’est même pas correctement formulée
la caractéristique de notre époque

étant plutôt que nous nous soumettons à cette cage ultramoderne de soumission...

depuis janvier de cette année

je suis à l’œuvre depuis six mois dans une petite école de deurne

ma raison de ma présence est

une petit film dans lequel l’économe milton friedman
utilise un crayon

pour explique comment fonctionnent les mécanismes du marché libre

le graphite vient d’afrique du sud,
le bois de l’ouest de l’amérique

l’aluminium de chine,
la peinture d’inde
la gomme des pays-bas

et tous ces gens,

poussés par une main invisible qui s’appelle concurrence
ont travaillé à ce crayon

afin qu’on puisse se l’acheter au prix le plus bas
et participer à l’harmonie et à la paix du monde.

j’ai demandé aux élèves de cette petite école

s’ils voulaient bien m’aider

à rapporter tous les éléments du crayon

à leurs lieux respectifs d’origine
pour

les y faire reposer

mais aussi

pour préparer la voie à quelque chose de nouveau

j’ai passé beaucoup de temps à expliquer mes motifs

les élèves de la classe avec laquelle je travaille ont onze ans

et nous parlons de thèmes tels que

la liberté individuelle versus la liberté collective,
la durabilité justifiée,
les potentialités de la terre
et robert musil
qui écrit que

s’il existe un sens du réel

il doit y avoir aussi un sens du possible
la capacité de penser ce qui pourrait être

je voulais rendre clair à la classe par quelques exemples

ce qu’un sens du possible pourrait être

et leur montrer la
disziplin der subjektivitat
une œuvre d’erwin wurm
qui a été jadis au musée du middelheim
une auto dont deux des quatre roues

reposent contre un socle à l’aide d’un crayon feutre

le soir quand je regarde la photo de nouveau
il me faut penser à l’événement avec l’écrivain argentin julio cortazar
et combien cet incident écrit le sens du possible
vers 1970 on a reproché à Cortazar

que ses œuvres étaient frivoles humoristes et sans engagement

vis-à-vis de la situation politique de son pays.
il a répondu :
« Je crois plus que jamais

que la lutte pour le socialisme en Amérique latine

doit affronter l’horreur quotidienne

en gardant précieusement, jalousement,

la capacité de vivre telle que nous la souhaitons pour ce futur,

avec tout ce qu’elle suppose d’amour, de jeu et de joie. »

Benjamin Verdonck

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