Benjamin « Depuis le début de 2015, je travaille à un nouveau cycle d’actions dans l’espace public, sous le titre EVEN I MUST UNDERSTAND IT, à l’instar de KALENDER, en 2009. Le moteur de ce nouveau cycle est le point que nous venons d’aborder : les changements imminents dans notre écosystème qui, à en croire les spécialistes, seront difficilement réversibles. Voilà ce qui me préoccupe depuis tout un temps. Plus on lit, plus on prend conscience que nous sommes face à un grave problème global qui va bien au-delà de ce qu’on peut contrecarrer à petite échelle en ne mangeant plus de viande ou ne roulant pas en voiture. Donc, que faire ?
Au-delà de la lecture et de la prise de parole à ce sujet, je souhaite à présent réaliser une œuvre autour de la question. Une œuvre autonome, mais à l’implication parfaitement évidente. Ainsi, pour Bospest par exemple, je voudrais faire “surgir” une espèce de plante invasive le long de toutes les fenêtres et portes d’une maison en rangée, comme si cette espèce avait pris possession de la maison à l’aide de forces inconnues à ce jour.
Je voudrais faire la même chose avec ce qui se trouve actuellement dans mon atelier et que vous reconnaissez, à ma grande joie, comme étant des nids d’hirondelles, mais démesurés. Vous les identifiez, mais ils sont trop grands et il y a trop de fiente sous ces nids, de sorte qu’on a le sentiment “Oh là là ! Elles sont revenues, mais elles sont nombreuses, très nombreuses, et plus grandes que je ne l’imaginais”. Si tant est que j’aie développé une relation avec la nature, elle réside surtout dans la peur de tout ce qui pourrait m’arriver d’étrange. Anophèles (mouches à malaria) en Belgique, mutations curieuses, variantes de la grippe aviaire, et ce genre de choses…
Puis, il y a une autre sorte d’action : dans les médias, on trouve des images hallucinantes d’inondations, du tsunami au Japon, de l’Elbe qui sort de son lit, etc. Cela produit des images qu’on ne peut pas inventer : un magnifique village de chalets dont on ne voit plus que les faîtes, des piscines qui débordent, un bateau sur un toit… En faisant allusion à ces images, je souhaite récréer ces situations, mais explicitement en tant qu’œuvre d’art, en tant que monument provisoire, en tant que plaisanterie acerbe. Ainsi, pour In het water, j’imagine construire une aire de jeu inondée dans une fontaine de la ville ; on sait qu’elle n’est pas “réelle”, mais cela permet d’établir un lien avec ce type d’image. Ceci est ma manière d’entamer la discussion à ce sujet.
Beuys a écrit : “Comme vous êtes venu chez moi voir ce que j’ai réalisé, nous pouvons peut-être nous asseoir et parler”. Voilà ce que je considère comme la quintessence de mon travail. »
Jens « Vous voulez dire que les gens doivent prendre conscience de la menace que représente la montée du niveau de la mer ? »
Benjamin « Avant tout, je souhaite en parler. Bien sûr que j’aimerais aussi voir les gens entreprendre des actions : arrêter de prendre l’avion ou de manger de la viande, isoler leur toit et réfléchir à la meilleure solution collective. Mais la réalité démontre que lorsqu’on a le choix entre deux parts de tarte, on choisit toujours la plus appétissante. Ce qui est lourd de conséquences. Il nous faut donc y travailler de l’une ou l’autre façon. Je considère mon travail comme une contribution constructive. Certainement pas pour interdire quoi que ce soit aux gens. Ce n’est d’ailleurs pas moi en tant qu’individu mais les autorités qui devraient intervenir de manière bien plus directive. Je vois mon travail comme un instrument, un outil pour accomplir quelque chose, à savoir cette sculpture sociale : le fait que les gens se réunissent, se parlent, développent des opinions, ne soient pas d’accord, aient des avis… »
Jens « Je pense qu’il est très important d’en parler. Il vaut mieux adopter une fonction d’exemple inspirant plutôt qu’enjoindre ou interdire. »
Benjamin « C’est exact, mais je ne me satisfais pas de seulement en parler. La question écologique est urgente, et constitue selon moi un résultat très tangible de notre attitude néo-libérale durant les cent, deux cents dernières années. Et c’est à cela que je souhaite bricoler avec mon travail. »