L’art du puzzle dans Roméo et Juliette

Les répétitions de Romeo & Julia de Mokhallad Rasem sont exactement à mi-chemin. La stagiaire en dramaturgie Roos Euwe décrit ce qui se passe dans le grenier où se déroulent les répétitions, et comment s’assemble le puzzle de cette célèbre histoire d’amour.

Pour le metteur en scène Mokhallad Rasem, répéter, c’est réunir les pièces d’un puzzle. Cela commence à table, autour d’une tasse de café, avec les acteurs Vic De Wachter et Gilda De Bal et le dramaturge Erwin Jans. Devant eux s’étalent les fragments de textes et les poèmes : toute une moisson récoltée les mois précédents, qui va constituer le script de Romeo & Julia. On y trouve des poèmes arabes contemporains, un sonnet italien médiéval, une chanson française à laquelle Vic est attaché, et un dialogue écrit par Mokhallad. « N’allons-nous pas y mettre quelque chose de Shakespeare ? » demande quelqu’un. « Si, le texte de la scène du balcon est magnifique, avec la lune et le soleil »… Tout ce petit monde feuillette, cogite, copie, compile…

Derrière eux, sur le tableau d’affichage, pendent de grandes feuilles avec les noms des scènes, tels que « souvenir », « mort » et « romance ». Comme les pièces d’un puzzle, les textes et les scènes, en s’imbriquant, font émerger lentement la structure du spectacle. Je verrai encore souvent Mokhallad devant le tableau : il rature, rajoute, écarte ou change l’ordre des fragments. Parfois, l’ajout d’un texte s’impose, et il faut l’écrire. Cette façon de travailler, si typique pour Mokhallad, Vic et Gilda ont dû s’y faire, au début. Car le script n’est en fait pas le texte, mais le tableau, et en cours de répétitions il s’enrichira encore de nombreux écrits, dessins, chansons et idées.

Une semaine plus tard, une magnifique automobile en bois destinée aux répétitions trône dans le grenier. Quant à l’auto qui viendra finalement sur la scène, on y travaille encore avec fièvre dans l’atelier de décor. Dans le concept du scénographe Jean Bernard Koeman, le véhicule est aussi une chambre à coucher, une maison et un refuge. Les éléments ingénieusement dépliants doivent encore être agencés, mais les premières scènes de Vic et Gilda dans l’auto sont déjà très évocatrices.

Tout comme le tableau, le grenier se remplit peu à peu : outre la voiture, on y voit s’entasser des éléments de technique et de musique et… d’autres Roméo et Juliette. Car dans cette histoire d’amour, les rôles-titres sont joués par trois couples d’âges différents. De quoi Roméo et Juliette avaient-ils l’air dans leur tendre enfance ? Shakespeare ne nous en dit rien. Et s’ils n’étaient pas morts, à quoi leur vie commune aurait-elle ressemblé ? Les différentes générations de Roméo et Juliette représentent leur présent, leur passé et leur avenir, ils sont leurs souvenirs, leurs pensées et leurs rêves. La seconde semaine, c’est au tour des jeunes Roméo et Juliette de répéter pour la première fois. Les trois garçons et les trois filles qui se relaieront dans la pièce viennent le mercredi après l’école. Ils grimpent dans et sous l’auto, et leurs jeux donnent une tout autre dimension aux scènes de Vic et Gilda.

Deux semaines plus tard arrive le dernier couple de Roméo et Juliette. Le Brésilien José Paulo dos Santos et l’Australienne Eleanor Campbell ont tous deux suivi la formation de P.A.R.T.S. à Bruxelles, et interprètent l’histoire d’amour par de la danse. La première scène que Mokhallad répète avec eux est basée sur l’histoire classique de Shakespeare. « Car, sans Shakespeare, il n’y aurait pas de Roméo et Juliette », dit Mokhallad. Avant de montrer d’autres versions de l’histoire de Roméo et Juliette, il veut ramener celle de Shakespeare à son essence : l’amour et la mort. Ensuite, à l’aide d’autres histoires – racontées en textes, mouvements, couleurs – il en fait un tout bigarré. Mokhallad compare son spectacle à un musée avec des tableaux devant lesquels défile le spectateur. Il fait des tableaux mouvants, en différents styles et dans diverses disciplines, mais ils ont tous le même sujet : l’amour.

La semaine suivante est agitée, dans le grenier. Pour la première fois, tous les acteurs sont réunis, et on répète intensément, avec le son et la lumière. Deux heures plus tard suit un moment de présentation pour les collaborateurs de la Toneelhuis, curieux de savoir ce qui s’est passé pendant ces quatre semaines de répétitions dans le grenier. Mokhallad montre fièrement les premières scènes et se frotte les mains de satisfaction, mais juste après le moment de présentation, nous le retrouvons plongé dans ses pensées devant le tableau. Il rature quelque chose, ajoute quelques mots et change une fois de plus l’enchaînement des scènes. « Nous continuons à assembler le puzzle », dit-il en souriant.

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