Guy : « Il y a neuf ans, j’ai débuté à la Toneelhuis avec Mefisto for ever, une réflexion à propos de la position de l’artiste en temps de bouleversement politique. Ce spectacle est devenu le premier volet d’un triptyque sur le pouvoir. Wolfskers adoptait le point de vue de celui qui détient le pouvoir et Atropa celui de la femme. La saison prochaine s’inscrit également sous le signe du pouvoir, mais d’un pouvoir totalement démesuré. Il s’agit de deux productions : Caligula d’Albert Camus et une adaptation des Bienveillantes, l’ouvrage de Jonathan Littell qui a remporté le Prix Goncourt. Caligula est une suggestion de Kevin Janssens, qui en interprétera le rôle principal. Les Bienveillantes est un livre très volumineux. Au bout de trois cents pages, je me suis dit : nom d’un chien, ceci est important, il ne faut pas que j’attende trop longtemps. J’ai d’emblée aussi entrevu des possibilités de mise en scène en partenariat avec le Toneelgroep Amsterdam, sachant qu’ensemble nous disposons d’un groupe d’acteurs fabuleux. »
Wilbert « Y a-t-il un lien entre ces deux spectacles selon vous ? »
Guy « Dans les deux spectacles, je mets en scène des personnages épouvantables. Caligula est empereur de Rome. Après le décès de sa sœur, dont il était très amoureux, il perd goût à la vie. Il prend conscience qu’il n’y a pas de principes universels et éternels du bien et du mal. Par son comportement agressif et provocateur, il défie son entourage et sape tous les fondements politiques et moraux. Il pousse ses amis et les sénateurs de Rome à faire face à leur lâcheté, leur hypocrisie, leurs mensonges, leur esprit trop humain. Parce qu’il s’accorde toutes les libertés, Caligula sombre de manière apocalyptique.
Le livre de Jonathan Littell brosse le portrait d’un homme, Max Aue, étroitement lié à la mise en œuvre la plus efficace possible de l’extermination des Juifs en Europe de l’Est. C’est un livre truffé d’historicités abominables. Caligula utilise son pouvoir pour miner toute la société, parce qu’il trouve que l’existence n’a pas de sens. J’observe de plus en plus ce fatalisme dans notre société. Dans le livre de Littell, la barbarie réside dans les motivations des officiers nazis. Puisque la décision de l’extermination des Juifs est prise, comment l’organiser de la manière la plus efficace ? L’horreur du livre se situe dans la crainte qu’il instille dans l’esprit du lecteur qu’en pareilles circonstances, il aurait pu agir de la même façon. Ce fait choquant en fait un ouvrage de référence. De manières très différentes, les deux spectacles placent le spectateur face aux à nos choix moraux. »