Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Cie Artara, Fabrice Murgia
Imaginez un monde sans nuit. Un monde où l’homme, épaulé par la science, mettrait fin à ses besoins physiologiques de sommeil. Une pilule lui permettrait de dormir 45 minutes sans effet de fatigue.
Dans « l’ère de la nuit fragmentée » – celle où chacun choisit le moment où il souhaite dormir – les étoiles ne bercent plus aucun rêve, aucun silence. La vie active, furieuse, sans relâche, court dans les veines d’une humanité jouissive et toute puissante. Fantasme pour certains, cauchemar pour d’autres, La Dernière nuit du monde aborde un thème à peine tabou. Une planète H24 sous le fallacieux prétexte que le jour déborde et qu’il est donc grand temps pour l’homme d’habiter le temps autrement.
Pour évoquer ce terrible destin d’un monde sans repos, Laurent Gaudé imagine un jeune couple : Gabor (Fabrice Murgia) et Lou (Nancy Nkusi). Lui, se jette corps et âme dans la réalisation de cette pilule funeste. Elle, tente de le raisonner, de le sensibiliser. En vain. La dernière nuit survient, pour l’humanité mais aussi pour le couple. Lou disparaît. Débute une enquête que troublent finalement le manque de sommeil et les intérêts d’un capitalisme effréné.
Pour son retour à la scène, Fabrice Murgia donne à Gabor une vraie épaisseur, celle d’un homme trop sûr de lui qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Sur l’écran surgissent tous les fantômes du passé, à commencer par une représentante du peuple Sami qui égrène les multiples arguments des siens contre la disparition de la nuit tandis que le public s’installe, y faisant à peine attention. Belle idée qui fait entendre la voix de la raison dans une indifférence générale. Mais la plus belle idée reste d’avoir confié le rôle de Lou à Nancy Nkusi. Contrastant avec l’agitation de Gabor, elle offre une présence forte, calme, émouvante, lumineuse. L’alchimie entre les deux comédiens est parfaite de bout en bout. Et la voix profonde de la jeune femme, épousant des rythmes jazzy, rend à la nuit toute cette magie qu’aucune pilule ne pourra jamais remplacer.
"La pièce, qui démarre comme un thriller, devient une fiction romanesque mais réussit à tenir le fil. Pendant deux heures Murgia nous tient en haleine, racontant les événements dans un carré de lumière. Derrière lui, un écran où apparaissent en gros plan les autres personnages. A cour, un studio d’enregistrement où est assise Lou (Nancy Nkusi, vibrante et d'une étourdissante beauté). De la neige recouvre la scène."
"Un excellent spectacle où Murgia excelle comme toujours à la mise en scène aux allures très techniques, et on le sait, avec lui, la magie arrive vite. C’est une joie de le retrouver sur scène, heureux d’en découdre avec le plateau."
"La mosaïque des images et des dialogues par vidéo interposée, la présence de plus en plus incarnée de ces interprètes enfermés dans leur bulle de solitude – lui danse son désarroi, elle chante sa complainte – font de ce moment théâtral une fable poétique dont l’écho résonne étrangement avec notre temps. Même si la situation n’est pas comparable avec la pandémie actuelle, on y voit une planète entière s’abîmer dans une même catastrophe. Et l’on en ressort en méditant."
"Prolongé de plusieurs soirées au Festival d’Avignon où il a été créé, le dernier spectacle de Fabrice Murgia et Laurent Gaudé nous entraîne dans un monde futur aux côtés d’un homme seul. Seul depuis la disparition de sa compagne au cœur de la nuit. D’ailleurs, la nuit aussi a disparu…"